Enfant placé / enfant déplacé.
“Le rythme des plantes est lent : c’est avec patience et amour qu’elles poussent.”
Changer de pays, de ville ou même simplement de quartier, ce n’est jamais anodin pour un enfant. Et quand je parle de déplacement, je ne pense pas seulement aux migrations spectaculaires, à l’exil ou aux ruptures visibles. Il s’agit aussi des petits changements qui, en apparence, ne “devraient” rien bouleverser, mais qui viennent pourtant toucher quelque chose de très intime : la manière dont l’enfant habite le monde.
Certains enfants vivent ces passages comme une aventure, une ouverture, une promesse. D’autres les traversent comme une perte : perte des repères, des lieux familiers, des amis, des routines dans lesquelles ils se reconnaissaient. Freud nous rappelle que l’enfant grandit dans une histoire qui le dépasse. Winnicott, lui, insiste sur l’importance d’un environnement suffisamment chaleureux et stable pour qu’il puisse se développer sereinement. Et puis il y a Bion, qui parle de ces expériences qui arrivent trop vite, trop fort, trop tôt, et que l’appareil psychique n’a pas encore la capacité de transformer. Quand cela se produit, les émotions restent comme à l’état brut, sans forme, difficiles à penser. Une confusion intérieure peut apparaître, ou une angoisse sourde, comme quelque chose qui serre, mais qu’on ne sait pas nommer.
Pourtant, les travaux de Marie-Rose Moro en psychologie transculturelle ouvrent une autre fenêtre : ces expériences, qui déplacent et troublent, peuvent aussi devenir fertiles. Elles peuvent donner naissance à la curiosité, à l’invention de soi, à la capacité de naviguer entre plusieurs mondes. Ce n’est pas le déplacement en lui-même qui est déterminant, mais la façon dont il est raconté, transmis, accueilli. Si l’expérience trouve une place dans l’histoire familiale, alors elle peut nourrir. Si elle ne trouve pas de sens, elle peut fragiliser.
J’aime comparer l’enfant en déplacement à un arbre qu’on transplante. S’il arrive dans une terre nourrissante, s’il est entouré de soins, il peut s’enraciner, pousser, se déployer. Mais si le sol est sec, dur ou pauvre, l’enracinement devient difficile et l’arbre peut sembler fragile. Pourtant, même un sol pauvre peut être transformé. On peut le travailler, l’aérer, l’arroser. Rien n’est figé. L’enfant aussi peut trouver de nouveaux appuis si on l’accompagne, si on écoute ce qui se dit en lui, même quand ça se dit sans mots. Marie-Rose Moro nous montre bien à quel point l’entourage familial et culturel peut transformer une rupture apparente en ressource créative.